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Le rêve durable de Joël de Rosnay

Interview de Joël de Rosnay pour le supplément "Apprendre du passé pour imaginer l’avenir" de l'Express de l'Ile Maurice, 2 juin 2013

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Quelles seraient vos premières décisions pour améliorer l’environnement mauricien si vous étiez Premier ministre ? C’est la question que nous avons posée à Joël de Rosnay. La réponse du spécialiste du développement durable.

Vous me demandez de faire de la politique fiction ! Je le ferai avec plaisir mais en ajoutant deux précisions. Je m’exprime ici à titre personnel et souhaite rappeler qu’en tant que conseiller du Premier Ministre, je partage et soutiens sa vision à long terme sur MID 5 E (Énergie, Environ-nement, Éducation, Emploi et Équité). Je répondrai à votre question sur les deux premiers E, à savoir énergie et environnement, en proposant ses mesures majeures de 2013 à 2033.


1- Il est indispensable de re-placer MID 5 E dans les budgets 2014-2015. J’interviendrai donc, avec le ministre des Finances, avant la préparation et le vote du budget en novembre, pour insister, dans le cadre d’une communication publique télévisée, sur la nécessité de considérer MID 5 E comme un « Projet fédérateur » pour l’ensemble du pays.


2- Je crée un « Comité interministériel pour la transition énergétique ». Il existe aujourd’hui une trop grande dispersion et un manque de coordination entreles ministères concernés. Surtout pour la mise en œuvre des road maps stratégiques proposées par le Rapport Mott MacDonald, publié au début de l’année. Je nommerai à sa présidence un député à la réputation et à l’image indiscutables qui sera la présence politique et médiatique MID dans l’esprit des Mauriciens.


3- Je réforme le Central Electricity Board qui ne peut plus être « juge et partie », en le transformant en un Central Energy Board. Aujourd’hui, cet organisme décide des orientations en matière de politique énergétique et, en même temps, il met en œuvre cette politique sur un plan technique. Je prends la décision de séparer les deux. Le programme énergétique du pays sera donc placé sous la responsabilité du ministère de l’Énergie et de celle de l’Environnement et du Développement Durable. La mise en œuvre technique reviendra au CEB, qui agira comme broker en rachetant l’électricité aux Small Independent Power Producers (qui auront le droit de produire jusqu’à 30 MW alors qu’ils sont limités à 2 MW), et comme « facilitateur» pour le développement, sur le terrain, des différentes formes décentralisées de production d’énergies renouvelables (vent, hydro, solaire, biogaz, géothermie…). Enfin, je relance la mise en place de l’Agence de régulation de l’énergie, votée en 2006, mais jamais actée.


4- Je mets un terme définitif au projet CT Power. J’engage auprès des ministères et des industriels concernés la procédure nécessaire pour abandonner la filière charbon et étudier les filières gaz. En coordination avec un Comité consultatif public-privé, nous mettrons en œuvre une politique d’économie et d’efficacité énergétique. En particulier, je ferai exercer un contrôle plus régulier sur les entreprises et lobbies qui influencent les politiques d’importation de produits fossiles (essence, fuel, charbon, gaz naturel liquéfié). Enfin, je ferai revoir les contrats avec les IPP (Independent Power Producers), qui conduisent à un abus de consommation de charbon, afin de favoriser la promotion des énergies renouvelables et la cogénération.


5- Je lancerai, en 2014, un grand programme d’investissements d’avenir sur les dix prochaines années : MixMID et « SmartMauritius ». MixMid reposera sur la combinaison des 12 énergies renouvelables dont bénéficie Maurice (y compris la géothermie), sur les économies d’énergie et l’efficacité énergétique. La distribution de l’électricité sera assurée par une Smart Grid (réseau intelligent capable de s’adapter à l’offre et à la demande). Cette grille sera reliée à des smart meters installés dans tous les foyers pour 2020 et connectés aux smartphones. Ces projets MixMid et « Smart Mauritius » seront réalisés à partir d’appels d’offres nationaux et internationaux. Je créerai à cet effet un Comité national de l’indépendance énergétique comprenant les principaux organismes publics et les industriels concernés. Le financement de ces projets pourra être assuré en partie par une taxe carbone sur les industries les plus polluantes.


6- Je demande au ministre de l’Environnement de réunir un consortium d’architectes mauriciens et internationaux pour lancer des projets de « bâtiments à énergie positive ». Les villes pourront ainsi devenir d’importantes centrales d’énergie. Ce consortium devra s’étendre aux entreprises qui gèrent les grands hôtels du littoral afin de développer un tourisme durable, vitrine des progrès de MixMid dans le pays. De plus, le ministère de l’Environnement devra me proposer rapidement des moyens de lutte contre le bruit, la laideur des bâtiments (avec une charte esthétique), la pollution des bus (promotion des véhicules électriques et hybrides), et en faveur de la gestion globale de l’eau dans le pays.


7- Rien ne pourra se faire sans la jeunesse et l’ensemble de la population mauricienne. C’est pourquoi je vais demander aux ministres concernés de mobiliser les universités, lycées, écoles, associations et médias pour faire participer les jeunes au futur de MID 5 E. Je demande au ministre de l’Éducation de soutenir la formation à l’écologie, au recyclage, à la gestion des déchets et de contribuer ainsi à faire changer les modes de vie et de consommation d’énergie. Pour cela, je lance pour 2015 les « Assises nationales MID 5 E et Smart Mauritius », ainsi qu’un congrès mondial de type « Davos de l’Environnement », pour positionner Maurice comme projet pilote pour le monde, sur la transition énergétique.