C’est un fabuleux cadeau que nous venons de recevoir : une vie en plus ! Quinze à vingt années de bonus, bientôt davantage, offertes aux populations des pays aisés de cette planète. Mieux : nous pouvons consommer ce supplément d’existence en bonne santé, et même en pleine forme.
Autant le dire avec solennité : c’est bien d’une révolution dont nous allons parler ici, une vraie, l’une de celles qui bouleversent durablement notre corps, nos comportements, notre manière de penser, mais aussi les équilibres de notre société, le futur de nos enfants et de leurs descendants. Un changement majeur dans notre histoire qui nous concerne tous, directement, quel que soit notre âge.
La révolution de la longévité a débuté sans que nous ayons vraiment conscience, au fil de ces dernières décennies, par adjonctions successives, une petite année par ici, une autre par là... Les avancées fulgurantes de la science et de la médecine maîtrisant des maladies jusque-là rebelles, les modifications sensibles de nos modes de vie et de notre alimentation, l’attention accrue portée à notre environnement… Tous ces progrès, difficiles à percevoir dans leur ensemble, ont eu pour premier effet d’allonger substantiellement notre espérance de vie. Il y a un siècle, celle d’un Français atteignait à peine 49 ans. Nous voilà arrivés en France à 84 ans pour les femmes, 77 ans pour les hommes. Ce ne sont que des moyennes. Et ce n’est pas fini. Nous continuons d’encaisser une année supplémentaire tous les quatre ans ! Faites les comptes, et vous regarderez d’un autre œil les bébés qui naissent aujourd’hui : un sur deux deviendra centenaire.
Ce n’est pas seulement notre vie qui se prolonge. C’est notre vitalité. Jusqu’à présent, notre existence était découpée en trois tranches : l’enfance (le temps du développement), l’âge adulte (le temps de l’activité), la vieillesse (le temps du déclin). Il y a peu, on avait ajouté l’adolescence, première période intermédiaire comme on dit de la chronologie égyptienne. Voici que l’on vient de découvrir une autre période de transition, un nouvel âge entre maturité et sénescence, de 60 à 75 ans : une seconde adolescence, peut-être aussi agitée que la précédente.
Ce nouvel âge a ses pionniers, les sexagénaires et les septuagénaires, dont certains, de leur voyage, nous rapportent d’étranges récits : « Surprise ! nous disent-ils. Nous ne nous sommes pas vieux ! Nous ne nous sentons même pas âgés ! ». Ils jouent de leur vigueur et se lovent dans leur insouciance retrouvée. Ainsi voit-on désormais des légions de touristes grisonnants sillonner la planète et jouir de leur retraite prolongée. Oisifs et rentiers. C’est l’âge d’or des seniors.
Bonne nouvelle pour l’individu, catastrophe pour la société. Car ces joyeux papys et mamies sont en train de pulvériser les fragiles équilibres sociaux et économiques établis entre générations et de provoquer une crise sans précédent. La longévité, ce beau cadeau, est une bombe à retardement. Elle est sur le point d’exploser… C’est cette révolution paradoxale, engagée sur trois fronts, que nous racontons dans Une Vie en Plus.
On le verra, les auteurs sont unanimes : oui, il est possible de concilier les aspirations individuelles et les contraintes de la collectivité. Oui, nous pouvons faire en sorte qu’au lieu de creuser de nouvelles inégalités, la longévité profite à tous, et participe au vrai progrès, celui du bonheur de l’homme. Encore faut-il le vouloir. C’est donc bien à une révolution fondamentale des esprits que nous appelons ici.
La longévité, pour quoi faire ? Pourquoi ce temps supplémentaire gagné entre deux néants ? A quoi bon repousser l’échéance ? Peut-être pour faire un ultime pied de nez à la nature ennemie que nous portons en nous, avant que de lui céder, toutes armes rendues. Peut-être pour gagner en sagesse, pour nous civiliser davantage (la route est encore longue). Ce cadeau-là en tout cas, il nous faudra lui donner un sens, et apprendre à le partager. C’est aussi un nouveau et beau défi lancé à la démocratie. Longue et bonne vie à chacun, et à tous.
Dominique Simonnet