Interview de Joël de Rosnay par Hugo Verlomme pour le quotidien Sud Ouest - 3 octobre 2013
Scientifique et sportif, futurologue et spécialiste de la longévité, Joël de Rosnay se livre avant d’ouvrir la 1re conférence internationale Mer & Santé. Champion de France de surf en 1960 et 1961, auteur de nombreux ouvrages, docteur ès Sciences, enseignant au MIT (Massachusetts Institute of Technology), Joël de Rosnay a été élu personnalité numérique de l’année 2012. Dans son dernier livre, « Surfer la vie », il écrit que « le surf représente la transposition dynamique de la vie elle-même ».
Sud Ouest : Vous qui êtes depuis toujours un passionné de mer, dans quelle mesure attribuez-vous votre bonne forme à la fréquentation des vagues ?
Joël de Rosnay : Évidemment, comme chacun sait, l’air marin est tonique. La présence d’iode et les UV jouent un rôle important. N’oublions pas que la composition de l’eau de mer est très voisine de celle de notre plasma sanguin. Mais la bonne forme ne résulte pas simplement de l’exposition à l’air marin.
La pratique du surf nécessite une préparation continue, à la fois musculaire, nutritionnelle et psychologique. En dehors des périodes de surf, je fais de la musculation régulière, notamment l’hiver à Paris, grâce à un rameur et à un vélo d’appartement, ainsi qu’à des poids. Tous les jours je pratique cette musculation pendant une heure, le matin ou le soir.
La nutrition est également très importante pour garder la forme. Je consomme très peu de graisses ou de plats préparés. Plutôt du poisson ou de la volaille, accompagnés de légumes et de fruits. En période de surf intense on doit aussi consommer des glucides à assimilation lente comme avant un marathon.
Je fais également attention aux vertèbres du cou, souvent très sollicitées, aux yeux, exposés au soleil, aux oreilles, en mettant des boules de protection pour éviter l’exostose qui fait perdre l’audition à de nombreux surfeurs. Les assouplissements avant d’aller surfer sont essentiels pour éviter des traumatismes à la fois musculaires et osseux.
Enfin, je porte à chaque session, en raison des rochers sur certaines plages ou de la foule de surfeurs, un casque spécial pour surfeur avec visière anti-UV.
Sud Ouest : Quel effet a sur vous le bain de mer au niveau mental et psychique ?
Joël de Rosnay : C’est plus que le simple bain de mer ! L’addiction au surf a aussi un fondement psychologique : les sports extrêmes conduisent au dépassement de soi vers de nouvelles dimensions de la personne humaine. Ce type d’addiction existe évidemment dans d’autres sports, et pas seulement dans les sports de glisse : l’escalade, le vélo, le triathlon ont leurs addicts. Mais le surf intègre une dimension supplémentaire, car l’esprit du surf souffle aussi sur l’écologie.
Un style de vie partagé par ceux qui se sentent en relation étroite avec l’environnement. Avec la matrice océanique d’où est née la vie. Les surfeurs se sentent proches de la nature. Ils utilisent la force et l’énergie de l’océan et puisent leurs ressources physiques et psychiques dans le milieu au sein duquel ils vivent en symbiose.
Sud Ouest : Pensez-vous que l’on peut accéder à une dimension spirituelle dans la pratique de l’océan ?
Joël de Rosnay : Oui, je le pense sincèrement. L’océan et sa force manifestée par les vagues, élève l’esprit, fait réfléchir profondément sur la nature, l’écosystème et au rôle de l’humanité pour leur préservation.
Ce que le surf m’apporte, c’est un sentiment de communion avec la nature. Je ne me bats pas contre les vagues. Je ne suis pas en compétition avec la houle. Ces éléments naturels ne sont pas mes adversaires, mais mes partenaires. J’utilise leur force, leur puissance, pour le plaisir, l’exercice, le défi vis-à-vis de moi-même. Pour « y aller ». Même quand c’est gros. Les vagues ont leur vie, déterminée par une tempête, de même que j’ai la mienne et suis libre d’évoluer sur la vague de mon choix, sur un spot favori que je connais comme mon jardin aquatique.
Je partage, sur cette question d’élévation de l’esprit en communion avec l’océan, l’avis mon ami David Servan-Shreiber qui nous a quittés trop tôt, et qui écrivait dans son beau livre posthume : « Il y a dans l’esprit de ces sports un parti pris d’acquiescement, d’adaptation au monde tel qu’il est, d’humilité même, qui me rappelle, toutes proportions gardées, les grandes intuitions de la philosophie orientale.