Article écrit par Joël de Rosnay et publié sur le blog collaboratif animé par Guillaume Sarkozy, délégué Général de Malakoff Mederic le 3 juin 2014
En biologie, on s’attend à des progrès immenses dans les travaux menés sur les cellules embryonnaires, et ceux liés à la reprogrammation complète d’une cellule en un autre type de cellule. Dans le génie tissulaire, l’utilisation de bioréacteurs va permettre de multiplier et de différencier des cellules dans le but de fabriquer le tissu souhaité.
Certains animaux ont la capacité de reconstituer intégralement leurs pattes ou leur queue avec cartilages, muscles et nerfs. Les chercheurs s’en inspirent pour tenter de faire croître des organes défectueux, à l’intérieur du corps humain.
En août 2005, Kevin Eggan de l’Université Harvard, a publié une découverte qui a passionné le monde de la recherche sur les cellules embryonnaires. Il a démontré qu’en utilisant des fibroblastes d’une personne (ou cellules de la peau) et en les faisant fusionner avec des cellules embryonnaires, ces cellules de peau « socialisées », différenciées, retournaient à l’état embryonnaire. Elles retombaient en enfance en quelque sorte… Ces cellules redeviennent pluri-potentielles tout en intégrant les gènes du malade. Possédant les gènes caractéristiques du patient, si on regreffe les cellules embryonnaires sur ce dernier (sous forme de cellules cardiaques ou de cellules nerveuses par exemple), elles ne seront pas rejetées par son système immunitaire puisque les cellules proviennent de son propre organisme. D’immenses opportunités s’ouvrent ainsi aux cellules embryonnaires.
INGENIERIE TISSULAIRE
Forts de cette découverte, les chercheurs veulent aller encore plus loin… A partir de ces cellules embryonnaires, ils veulent fabriquer des tissus entiers. En d’autres termes, ils veulent produire des organes. On parle « d’ingénierie tissulaire » (en anglais, tissue engineering).
Il s’agit par exemple de générer un foie, un pancréas, des nerfs, de la peau, des vaisseaux sanguins,… pour des malades souffrant de cancers incurables, des grands brûlés ou des accidentés de la route dont la moelle épinière a été sectionnée par exemple.
La recherche en ingénierie tissulaire, avec des bioréacteurs permettant de re-générer des tissus, est une quête mondialement partagée. Des expériences ont déjà été réalisées sur des patients qui ont perdu leur nez suite à un accident. Les chirurgiens commencent par reconstituer, sur ordinateur, le nez « idéal » souhaité par le malade. Des matériaux biodégradables vont ensuite constituer une sorte d’échafaudage : on reconstruit la structure du nez sur laquelle on va faire pousser des cellules cartilagineuses. En poussant, ces cellules vont « manger » l’échafaudage qui va finir par disparaître. Il ne restera plus que du cartilage réel. Plus récemment, avec les bio-imprimantes 3D qui fonctionnent par dépôts successifs de cellules vivantes, on a déjà pu reconstituer oreilles, nez, vessies, parties de foie ou de reins.
BIOPUCES ET MEDECINE PERSONNALISEE
Pour produire des biopuces, des morceaux d’ADN, tous différents, sont déposés sur des petites plaquettes de plastique ou de verre. Des sondes moléculaires peuvent se fixer sur ces fragments d’ADN en fonction de la séquence qu’elles renferment. Des techniques fluorescentes permettent de détecter l’ADN recherché sur telle partie de la plaquette. La totalité des gènes humains contenue sur ces plaquettes permet de tester si telle personne est prédisposée à un risque de maladie génétique ou à une réaction néfaste à tel médicament ou traitement par exemple.
Avec les biopuces, la médecine personnalisée devient une réalité. Grâce aux biopuces, on peut maintenant dépister la capacité des gens à souffrir de telle maladie et à réagir à tel ou tel médicament. On pourra également suivre dans le temps l’évolution du succès d’un médicament en fonction du profil génétique de chaque patient. On peut aussi détecter le cancer du sein, le virus du sida ou les prédispositions au cancer de la prostate. Ces techniques extrêmement importantes pour l’avenir vont être de plus en plus souvent utilisées. Mais le coût de cette nouvelle médecine personnalisée est encore élevé. Il convient également de s’intéresser aux aspects scientifiques et éthiques de ces travaux, liés en particulier à l’opportunité de tester chaque individu pour connaître ses prédispositions à tel type de maladie ou ses réactions à certains médicaments.
BIONANOTECHNOLOGIES
Avec des nanolaboratoires il devient possible d’analyser des centaines de milliers de molécules par jour. Une application spectaculaire des bionanotechnologies est la « pilule intelligente » : une pilule bioélectronique implantable libérant les produits qu’elle contient pendant des durées atteignant plusieurs mois. D’autres chercheurs ont réussi à fabriquer un « implant intelligent » capable d’administrer de l’insuline à des diabétiques par l’intermédiaire de cellules vivantes enrobées à l’intérieur d’un micro réservoir comportant une membrane poreuse. L’usage de biocapteurs avec des textiles intelligents a conduit à la mise au point de vêtements permettant à des médecins de suivre à distance certains paramètres du métabolisme de leurs patients. Un pas de plus a été accompli avec la production de systèmes bioélectroniques permettant d’interfacer directement le système nerveux à des machines électroniques ou à des robots.
Aujourd’hui, les chercheurs disposent d’une batterie d’outils : la génomique, la bioinformatique, la recherche dans les bases de données, la recherche des protéines, la génomique structurelle, l’automatisation de la cristallisation par rayons X, la simulation ou la conception rationnelle de médicaments. Par exemple, on construit des molécules sur l’ordinateur et on teste virtuellement comment cette molécule pourrait agir sur telle enzyme en la bloquant ou en l’activant. Si, sur ordinateur, cette simulation fonctionne, on demande au laboratoire d’essayer de synthétiser ou de fabriquer ce produit. Ces outils puissants contribuent à la révolution biologique, notamment en matière de fabrication de médicaments et de nouveaux tests de diagnostic.
BIOLOGIE SYSTEMIQUE
La biologie est en plein renouvellement avec la biologie systémique et la biologie de synthèse. La biologie systémique est née de la convergence de l’informatique, de la génomique et des nanotechnologies. Elle est rendue possible, notamment, grâce à la simulation sur ordinateur. Elle sert à étudier les interdépendances entre molécules, cellules, organes… Elle va plus loin que la biologie moléculaire (qui étudie une molécule isolée et son action à tel endroit). La biologie systémique permet de mieux identifier les fonctionnalités des cellules et, par conséquent, de « prédire » l’efficacité des médicaments. Cette nouvelle science est au point de rencontre entre des disciplines telles que la physique, la médecine bien sûr, les mathématiques, la chimie, l’ingénierie ou les sciences de l’information. Il s’agit désormais de comprendre la globalité des fonctionnalités du vivant, et grâce à la simulation sur ordinateur, les interdépendances des éléments entre eux.
La biologie de synthèse, de son côté, représente un secteur plein de promesses mais aussi lourd de menaces. Elle consiste à reprogrammer des organismes vivants (comme on le ferait pour un ordinateur), en utilisant des séquence d’ADN synthétique, donnant à une cellule vivante des instructions biologiques codées pour déclencher, amplifier, ou stopper une réaction métabolique. On peut aujourd’hui télécharger gratuitement sur Internet ces « programmes » d’ADN appelés « DNA cassettes » ou « BioBriks ». Téléchargées, elles sont capables de programmer les machines à synthétiser l’ADN, comme il en existe dans tous les grands laboratoires de biotechnologie.
C’est ce programme, compatible avec la machinerie biologique et comportant des instructions précises n’existant pas dans la nature, qui sera injecté dans une cellule vivante et la reprogrammera, pour le meilleur ou pour le pire.Des dizaines de laboratoires dans le monde travaillent déjà sur la biologie de synthèse. Les enjeux sont énormes : création d’organismes vivants inconnus dans la nature ; possibilité de synthétiser des molécules complexes présentant des fonctions nouvelles ; bases nouvelles pour une biologie industrielle de synthèse, analogue à l’avènement de l’industrie chimique au cours de la première moitié du XXème siècle ; invention de nouveaux matériaux (bio matériaux pour l’ingénierie tissulaire, détection de menaces ou de risques chimiques et bactériologiques) ; ou nouvelles voies métaboliques pour dépolluer l’environnement.
UNE REFLEXION BIOETHIQUE S’IMPOSE
Compte tenu de ces nouveaux enjeux, plus encore que pour la biologie moléculaire, le génie génétique ou la génomique, une réflexion bio éthique s’impose. Personne ne sait si ces organismes vivants reprogrammés s’adapteront à l’écosystème. Peut-être même risquent-ils de le déséquilibrer et de le mettre en péril ? Peut-être que ces organismes de synthèse vont échapper au contrôle de leur géniteur, et créer de nouveaux virus, dangereux pour les plantes, les animaux ou les humains. Les applications étant illimitées, la plus grande vigilance s’impose pour éviter les dérives résultant de la poursuite de seuls objectifs commerciaux, voire militaires ou politiques.
Avec la génomique, la transgénie, la bioinformatique, l’évolution des biotechnologies atteint un nouveau stade : elle questionne directement l’homme sujet et objet, ingénieur des gènes. Nous transformons la biosphère et cette transformation nous change de manière irréversible. Les progrès scientifiques et techniques dans les sciences du vivant ouvriront de nouveaux horizons riches de promesses mais aussi lourds de menaces. Il deviendra possible de cloner et cultiver des cellules embryonnaires humaines pour créer des usines à organes permettant de remplacer des organes déficients.
Mais le pouvoir de créer de nouvelles espèces végétales et animales pourra-t-il être contrôlé ? L’homme prendra-t-il le relais de l’évolution biologique ? A l’horizon se profile déjà le mariage de la biologie, des nanotechnologies et de l’informatique, avec la possibilité de communication directe entre le cerveau de l’homme et les ordinateurs du futur. Une nouvelle forme de symbiose pourrait ainsi naître entre le biologique et l’électronique. A l’homme de savoir fixer les limites pour éviter que ses créatures biologiques ou électroniques ne se retournent contre lui.